Tu suffoques, tu te noies dans ta propre angoisse. Tu sais pas ce que tu fous là, t'as peur de te souvenir. Tout ce que tu sais, c'est ce que tu vois, ce que tu sens. Le drap rêche sur ta peau nue. L'odeur de tabac et d'alcool qui reste accrocher à la pièce. La chaleur de ce corps à quelques centimètres du tien. Et son sourire, son sourire qui en dit long sur ce qui a dû se passer cette nuit. Et tu craques, t'éclates en sanglots. Il est perplexe, et pas délicat pour un sous. Il te demande pourquoi tu chiales, que t'avais l'air de plutôt bien prendre ton pied y'a quelques heures, ce qui fait que te faire chialer davantage. T'aimes pas cette sensation de vide, de pas savoir ce que t'as fais ni avec qui, toutes les saloperies que t'as infligé à ton corps. Et ça faisait des années que ça durait. Sur la côte Est ou sur la côte Ouest, ça n'avait jamais été différent. Quelques jours, au mieux quelques mois de répit et puis Hell revenait foutre le bordel dans ta vie si bien rangée. Ton père paie le psy des fortunes mais ça change rien. Cette fille prend possession de ton corps et fait tout ce que t'oserais jamais faire. Des fois tu te dis que c'est un mal pour un bien mais le plus souvent tu souffres, c'est comme si on violait chaque fois ta conscience et ton corps. Et t'es à bout, t'as envie d'en finir avec elle. T'es Gioia, tu veux être Gioia, et personne d'autre.



T'es prête à mettre les voiles, aller faire un truc qui mettrait un peu de piquant dans cette vie morne. Un bon coup dans le carré VIP de la boîte la plus huppée de Los Angeles, provoquée un pauvre branleur et le faire tabasser par un passant qui se prendra pour ton chevalier servant, faire du charme à un agent en service, te dilater les pupilles à coup de poudres magiques... Les choix sont vastes quand on a du fric mais la voix de ton père te retient. Enfin sa voix... son râle ouais. La porte du bureau est entrouverte et il n'est visiblement pas seul. Pas très prudent quand on sait que sa fille de 16 ans rode dans les parages. De toute évidence, ton père a l'air bien surpris quand il surprend ton regard sur lui et ses ébats avec son mec. Ah bah ça putain pour une surprise ! Mais c'est pas toi la plus surprise des deux. En fait, t'éclates de rire sous les yeux horrifiés de ton père et de son amant. Il essaie de se justifier, de s'excuser, de trouver un moyen de te faire taire. Tu le dissuades pas, tu le laisses raquer: brave papa ! Tout ça pour l'achever avec un petit: T'sais Papa, t'es pas le seul à fouiller chez le même sexe. Puis faut dire que maman est qu'une salope frigide. Elle mérite ce qui lui arrive. Y'a pas à dire, t'es une sale garce.



Courir encore et toujours, c'est un truc que tu fais, que tu sois Gioia ou Hell, c'est une dope dont ton corps a absolument toujours besoin. T'as besoin d'un break en ce moment: entre les cours, tes crises, les séances de psy, ta soeur qui aurait bien besoin d'y aller aussi, ta mère qui ferait mieux d'arrêter de picoler en s'envoyant son prof de pilate et ton père qui s'enfile son avocat, y'a de quoi péter les plombs. Mais ça fait des années que t'as pété les plombs. Tout le monde te prend pour un monstre, une bête de foire. Tu leur fais peur ou ils font semblant de t'apprécier pour s'approcher de l'oseille de Papa. Non t'as pas vraiment d'amis à par ces deux personnes spéciales. Elle et lui, comme deux entités qui existent pour te compléter, pour t'équilibrer. Ils ne te jugent pas, ils ne te mentent pas, ils te prennent tel que tu es pour toi et pas pour ta famille. Courir et les voir, c'est deux choses dont tu peux pas te passer et dont tu n'espères n'avoir jamais à te passer. T'as fini par te fixer ici, en Suède, avec eux. C'est ta vie ici, celle que tu as choisi. Celle que tu veux. Et tu comptes bien la mener à bout.